Les descendants de Marin JANNOT dit LACHAPELLE

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LA GRANDE RECRUE DE MONTRÉAL DE 1653

Textes et recherches: Jacques Désautels, cueillette des actes de naissances et contrats: Josée Tétreault. Document rendu disponible par la Société généalogique canadienne-française.

Ville-Marie fut fondée dans l’allégresse en 1642, portée par le rêve des membres de la Société Notre-Dame de Montréal d’assurer le développement spirituel et matériel de la Nouvelle-France. Malheureusement, après dix années d’efforts soutenus, force était de constater que la petite colonie établie aux limites de la voie navigable du Saint-Laurent était menacée dans son existence, si elle ne parvenait pas à obtenir rapidement du renfort. Il était devenu manifeste que la poignée de colons qui l’habitaient, occupés à apprivoiser un environnement hostile et à résister aux attaques incessantes dont ils étaient l’objet de la part des Iroquois, ne parviendraient pas à l’établir sur des bases solides. La crainte et l’effroi étaient tellement répandus que beaucoup d’entre eux songeaient à jeter l’éponge.

C’est Jeanne Mance qui convainquit M. de Maisonneuve, le fondateur de Montréal, de passer en France pour recruter des colons afin de doter la colonie des moyens qui lui permettrait de survivre. Il quitta donc la Nouvelle-France, à l’automne de 1651, résolu à recruter 100 nouveaux colons, sans quoi il ne reviendrait pas et ordonnerait la fermeture du poste. C’est à La Flèche qu’il se rendit, où, avec l’aide de M. de la Dauversière, il fit campagne dans le Maine et l’Anjou pour recruter des engagés qui accepteraient de quitter patrie et famille pour se faire défricheurs et soldats dans le Nouveau Monde. Entre les mois de mars et de mai 1653, 117 hommes passèrent des contrats avec la Compagnie de Montréal. Ils s’engageaient pour une période de trois à cinq ans à un salaire proportionné à leur métier. En retour, on leur garantissait logement et nourriture, ainsi que le retour en France sans frais, si tel était leur désir, au terme de leur engagement.

Le 20 juin 1653, 116 passagers, accompagnés de M. de Maisonneuve, s’embarquèrent à Saint-Nazaire, sur le Saint-Nicolas de Nantes. Parmi eux, 102 s’étaient engagés envers la Compagnie de Montréal. À ce nombre, il faut ajouter 14 femmes (dont Marguerite Bourgeoys). Assez tôt après le départ, on s’aperçut que le bateau n’était pas en état de naviguer et faisait eau de toutes parts. Après avoir franchi 350 lieues en mer, il fallut se résoudre à faire demi-tour, l’eau menaçant même d’endommager les provisions. Selon la relation de Marguerite Bourgeoys, les passagers devinrent furieux, croyant qu’on les menait à la perdition. M. de Maisonneuve se sentit obligé de « mettre tous les colons dans une île d’où l’on ne pouvait s’échapper car autrement il n’en serait pas demeuré un seul ».

On s’affaira, pendant trois semaines, à radouber le bateau. Le signal du départ fut finalement donné le 20 juillet. Après deux mois d’une traversée qui s’avéra pénible, six passagers étant morts en mer, les recrues mirent pied à terre à Québec, le 22 septembre. Ils y furent retenus tout le mois d’octobre, le gouverneur Lauzon refusant de mettre à la disposition de M. de Maisonneuve les barques dont il avait besoin. Mais la détermination du fondateur de Montréal prévalut et le 16 novembre 1653, soit près de cinq mois après avoir fait voile depuis Saint-Nazaire, la petite troupe débarqua à Montréal, accueilli par les abondantes neiges d’un hiver particulièrement hâtif, sous les vivats chaleureux d’une population qui se voyait enfin secourue.

Quatre décennies plus tard, en 1687, le gouverneur Denonville et l’intendant Champigny commémoreront l’arrivée de cette Grande Recrue, ces cent hommes qui ont sauvé l’île de Montréal et tout le Canada aussi.

MAI

La petite colonie de Ville-Marie est dans un état de désolation qui fait désespérer de sa survie. Il y aura bientôt deux ans que M. de Maisonneuve, à l'instigation de Jeanne Mance, est passé en France pour recruter des nouveaux colons mais il tarde à revenir et la situation apparaît maintenant sans issue.

Pendant ce temps, à Nantes, M. de Maisonneuve met la dernière main aux préparatifs du départ des colons qu'il s'est affairé à recruter, au cours des récents mois, en Picardie, en Champagne, en Normandie, en Île-de-France, en Touraine, en Bourgogne et, surtout dans le Maine et l'Anjou. En compagnie de M. de la Dauversière qui ratisse la région de La Flèche, il a recruté une centaine de jeunes hommes qui serviront son dessein de protéger Ville-Marie et d'en faire une colonie viable et prospère.

Depuis le mois de mars, les recrues défilent dans l'étude du notaire Pierre de La Fousse, à La Flèche, où ils signent leur acte d'engagement avec la Compagnie de Montréal. Chacun promet de se rendre à Nantes, selon la consigne reçue, chez Maître Charles Le Coq, propriétaire du Saint-Nicolas-de-Nantes, le bateau affrété par la Compagnie de Montréal qui fera la traversée sous la conduite du capitaine Pierre Le Bessou.

En cette fin de mai, par divers moyens, les recrues se rendent à Nantes. Plusieurs de ceux qui sont originaires de la région de La Flèche se regroupent au petit port du Pré Luneau et montent à bord des coches d'eau, petits bateaux à fond plat, appelés futreaux, pour descendre le Loir jusqu'à Nantes.

JUIN

À Ville-Marie, les escarmouches avec les Amérindiens se multiplient mais une embellie se manifeste en ce début d'été, la première depuis des années : le 26 juin, deux nations iroquoises demandent la paix.

Pendant ce temps, à Nantes, le départ du Saint-Nicolas-de-Nantes est retardé. On en profite pour faire de nouvelles vérifications et s'assurer que l'approvisionnement ne fera pas défaut. On entasse dans la cale une montagne de miches de pain, des fûts de cidre, des barils de lard, des centaines de kilos de beurre, des barriques de petits pois et de haricots. S'ajoutent des bougies par milliers pour assurer l'éclairage et du bois pour permettre la préparation des repas. D'un pas décidé, les membres de la Recrue montent à bord et le capitaine Le Besson donne le signal de départ. Le Saint-Nicolas voguera d'abord sur la Loire pour rallier la rade de Saint-Nazaire où l'estuaire s'ouvre sur l'Atlantique et le grand large. De nouveaux colons et quelques femmes se joindront aux recrues. Le jour du départ est fixé au 20 juin.

Le jour prévu, le notaire Belliotte est invité à s'installer sur le pont derrière une petite table. Il remet aux hommes une avance sur les gages promises, en présence de Maître Le Coq et de M. de Maisonneuve. Sa mission complétée, il quitte et se rend sur le quai où il assiste au signal du départ. En quelques minutes, le Saint-Nicolas-de-Nantes a gagné la mer. Si les vents sont bons, Québec devrait être en vue dans six ou sept semaines. Mais le sort en décide autrement. À peine 350 lieues sont-elles franchies, que quelqu'un signale une grave avarie : une voie d'eau menace d'endommager les provisions. Les hommes d'équipage, aidés par les colons, tentent en vain de colmater la brèche. Le capitaine doit se résigner à l'évidence et il donne l'ordre de faire demi-tour.

La panique s'empare alors de plusieurs recrues qui croient qu'on les amène à la perdition. Ils souhaitent renoncer à leur engagement et menacent de ne pas reprendre la mer. Maisonneuve, qui s'est donné tant de mal depuis deux ans, craint pour la réussite de sa mission et il décide de débarquer sa recrue dans la petite île de Saint-Nicolas-des-défunts, en face de Corsept, le temps que dureront les réparations au bateau. De cet endroit, les colons ne pourront se sauver. Les courants de la Loire sont assez forts pour décourager les plus téméraires.

JUILLET

La paix conclue le mois précédent par les habitants de Ville-Marie ne lie que deux des cinq nations iroquoises et les Agniers n'en sont pas signataires. Forts d'une troupe de 600 hommes, ils entreprennent de marcher sur Ville-Marie où l'annonce de leur arrivée soulève l'effroi. Mais les habitants se dressent et repoussent l'attaque. La situation dans la petite colonie n'a jamais paru aussi précaire.

À Saint-Nazaire, les charpentiers ont réussi à colmater les fissures qui étaient apparues dans la coque du Saint-Nicolas-de-Nantes. On le remet à l'eau en direction de la petite île où Maisonneuve a déposé sa recrue. Le 20 juillet, les passagers entendent la messe puis ils montent à bord. L'heure du départ définitif a sonné. Ils jettent un dernier regard sur les côtes du pays qui les a vus naître. La plupart d'entre eux ne le reverront plus.

AOÛT

Le Saint-Nicolas vogue sur l'Atlantique au gré des vents qui l'amènent par la route maintenant bien connue des marins français vers les côtes de Terre-Neuve. Mais la traversée n'est pas sans histoire. La promiscuité et les conditions sanitaires déficientes rendent le voyage difficile. Une épidémie se répand parmi les passagers et c'est Marguerite Bourgeoys qui s'emploie à soigner les malades et à leur prodiguer ses encouragements. La terre sera bientôt en vue. Malheureusement, au moins quatre passagers meurent en mer et d'autres termineront le voyage en fort mauvais état.

SEPTEMBRE

Il y a déjà plusieurs jours que le Saint-Nicolas est entré dans l'estuaire du Saint-Laurent et il est maintenant possible de voir les deux rives. Sur la droite, les colons aperçoivent le petit poste de Tadoussac. Quelques jours encore et ils seront devant Québec. Ils y arrivent le 22 septembre, accueillis par une partie de la population et le gouverneur Lauzon. On descend le courrier qui apporte aux habitants des nouvelles du vieux pays et Maisonneuve loge sa petite troupe dans un entrepôt que possède la Compagnie de Montréal en attendant de repartir pour Ville-Marie.

Mais la guigne continue de s'acharner sur le Saint-Nicolas-de-Nantes. En arrivant devant Sainte-Foy, il a heurté des hauts-fonds et le capitaine Le Besson, conseillé par des capitaines canadiens qui connaissent bien le fleuve, se rend compte qu'il sera impossible de le relever. Il devra se résigner à ordonner qu'on le brûle en face du moulin Saint-Denis.

Le gouverneur Lauzon implore Maisonneuve de laisser ses colons à Québec. Pourquoi aller risquer leur vie dans un poste qui n'a pas d'avenir ? Il vaudrait beaucoup mieux de consolider Québec où les recrues pourraient obtenir de belles terres sur l'île d'Orléans. Maisonneuve ne l'entend pas ainsi. Le roi, dans un message qui porte son sceau, lui a confié la mission d'établir sa recrue dans l'île de Montréal et il n'en dérogera pas, un Iroquois dût-il se cacher derrière chaque arbre. Lauzon s'emporte. Si Maisonneuve s'entête, il ne lui fournira pas les barques nécessaires au transport de sa recrue sur le Saint-Laurent.

OCTOBRE

Pendant qu'à Ville-Marie, les habitants ont perdu tout espoir de voir arriver avant l'hiver les secours promis il y a déjà deux ans, Maisonneuve remue mer et monde pour organiser le départ de ses colons. Il lui faudra encore trois longues semaines avant de pouvoir compter sur suffisamment de barques pour entreprendre la dernière tranche du voyage.

NOVEMBRE

L'hiver s'annonce. Déjà, le soleil se couche plus tôt et les ombres s'allongent sur le sol. D'autres mauvaises nouvelles attendent les membres de la Recrue. En l'espace de quelques jours, quatre de leurs camarades, éprouvés par la rigueur de la traversée, décèdent. On doit les inhumer à Québec. Le temps est maintenant venu de se hisser à bord des petites embarcations qui permettront à la Recrue de remonter le Saint-Laurent. Pour ces colons, familiers de la Sarthe ou de la Loire, la navigation sur le grand fleuve impressionne. Les voilà maintenant devant Trois-Rivières. Encore quelques jours et l'île de Montréal sera en vue.

Une surprise les attend toutefois: en ce 14 novembre 1653, la neige tombe en abondance et un froid vif surprend les voyageurs transis. Deux jours plus tard, ils croisent l'île que Samuel de Champlain a baptisée en l'honneur de sa jeune épouse, Hélène Boulé. Encore un peu et ils seront en vue du petit fort de Ville-Marie. Devant eux, des vivats se font entendre. Une population inquiète, qui ne les attendait plus, s'est rassemblée au pied de la petite rivière Saint-Pierre. Elle leur réserve un accueil triomphal. Les membres de la Grande Recrue foulent le sol de Ville-Marie pour la première fois. Après deux ans d'efforts incessants, Maisonneuve a gagné son pari. Ville-Marie sera sauvée.

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À consulter : Grands Montréalais d'autrefois, Grande recrue

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